buste Galluccio moyen
L’Estache, Le marquis de L’Hôpital,
Paris, musée Jacquemart-André

Portraits de Français sculptés à Rome
par un Français, Pierre de L’Estache,
entre 1720 et 1750
,


in Gazette des Beaux-Arts,
t. CXL, déc. 2002, p. 333-356

Le buste signé et daté du musée Jacquemart-André peut enfin est être identifié avec celui du
marquis de L’Hôpital.


Il busto firmato e datato del museo Jacquemart-André può finalmente essere identificato con quello del marchese de L’Hôpital.

The bust signed and dated at the Jacquemart-André museum is finally identifiable as that of the
Marquis de L’Hôpital.


résumé riassunto summary

estampe Galluccio
J.G. Teucher, d’après L. Tocqué,
Le marquis de L’Hôpital

Extrait de l'article (p. 338-342) concernant le buste (cat.15)

L'unique œuvre signée par le sculpteur qui soit conservée est le buste en marbre d’un homme portant une armure ornée sur la poitrine d'un coq, conservé au musée Jacquemart-André à Paris.

Cet oiseau, symbole de vigilance et de diligence (Ripa, 1644, p. 49-50 ; Cairo, 1967, p. 137 ; Pastoureau, 1998, p. 62-83), et de ce fait très utilisé dans l'héraldique, n’avait pas permis, jusqu’à présent, d’identifier le personnage. Sans être renfermé dans un écu, l’animal figuré isolément était à considérer avec précaution comme ne représentant peut-être qu’un des meubles des armoiries du personnage. Toutes les suppositions étaient en outre permises : réalisé à Rome en 1740, ce buste pouvait être la commande aussi bien d’un officier italien que d’un Français établi pour quelque temps à Rome ; l'artiste étant en contact, depuis la réalisation de copies d’antiques pour Auguste le Fort, avec le représentant du roi de Pologne à la cour pontificale, l'hypothèse d'un commanditaire originaire de Saxe était également envisageable. Restait tout de même gênante l’idée qu’un homme d’armes non français fasse figurer avec ostentation sur son buste réalisé à Rome un animal qui était, en Italie, directement associé à la France (un Français à Rome était dit gallo, qui veut dire coq en italien).

Parmi les nombreuses familles possédant le coq comme armoirie parlante, celle napolitaine des Galluccio, était selon Philippe Palasi digne d’une attention particulière, notamment en raison de son importance sociale au XVIIIe siècle. Cette précieuse proposition devait d’autant plus être prise en considération qu’elle se recoupait avec un probable indice donné par l’historique de l’œuvre : Nélie Andrée acquit le buste en 1908 à Naples (Le « Buste d’homme avec cuirasse en marbre blanc (XVIII siècle) » a été acheté, notamment avec les tableaux de Panini, à l’Hôtel de Ventes Canessa de Naples en mars 1907 ; voir le reçu conservé dans les archives du musée Jacquemart-André). Suivre cette direction de recherche a permis en fait de résoudre l’énigme du coq par une solution franco-italienne, une branche de la famille Galluccio ayant eu toute sa descendance outre-Monts : désormais, L’homme en armure du musée Jacquemart-André doit selon toute vraisemblance être identifié avec Paul-François Galluccio marquis de L’Hôpital (sur ce personnage, voir Badier et La Chesnaye des Bois, t. X, 1866, col. 720-722).

Né le 13 janvier 1697, ce marquis de Châteauneuf-sur-Cher gravit rapidement tous les grades militaires jusqu’à sa nomination en tant qu’inspecteur général de la cavalerie et des dragons en 1738 puis comme maréchal des camps et armées du roi en 1739. Ce fut à cette date que Louis XV nomma le marquis de L’Hôpital ambassadeur ordinaire auprès du roi des Deux Siciles (Rainach, 1893, p. 65-83). Celui-ci quitta Paris en mars 1740 et arriva à Rome le 19 avril suivant. En juillet il était à Naples où il devait rester jusqu’en 1751. Bien intégré à la cour de Charles III, il se préoccupa d’organiser plusieurs fêtes dont celle célébrant le mariage du Dauphin en 1745 (Pugliese Carratelli, 1994, p. 302, 424, 445); s’intéressant de près aux fouilles d’Herculanum, il aurait même publié un mémoire sur la ville ensevelie (Mémoire historique et critique sur la ville souterraine, Avignon, 1748. Charles de Brosses en possédait un exemplaire dans sa bibliothèque, voir ses Lettres familières, Cafasso ed., 1991, I, p. 524 n. 40 et p. 541 n. 10). Si d’Argenson considérait le marquis de L’Hôpital « léger, gentil, ignorant et peu accoutumé à raisonner de suite » (Rathery, III, 1861, p. 19-20). L’ambassadeur semble avoir toutefois rempli avec honneur ses fonctions diplomatiques et devait même quelques années après son retour en France être désigné en 1757 comme ambassadeur en Russie (Rambaud, 1890, II, p. 31-102). Rentré à Paris quatre ans plus tard, il devait y mourir en 1776, peu de jours après son soixante-dix-neuvième anniversaire.

La date de naissance du marquis (qui avait donc quarante-trois ans en 1740), la présence du coq parmi les meubles de ses armoiries, sa carrière dans les armes, l’importance de sa nomination comme ambassadeur, son passage à Rome au printemps 1740 suffisamment long pour laisser à un sculpteur la possibilité de réaliser un buste en terre lors de quelques séances de pose, ne sont pas les seuls éléments à peser en faveur de cette identification. L’ambassadeur apparaît comme un homme particulièrement attaché à ses origines napolitaines : il descendait en effet d’un certain Jean Galluccio qui, venu en France au milieu du XIVe siècle, put hériter d’un parent à condition de porter son nom, de L’Hôpital. Le marquis obtint en décembre 1743 d’être reconnu par la noblesse de Naples comme napolitain d’origine et issu de la maison de Galluccio, puis en février 1744 d’être inscrit dans les registres de ce même corps de noblesse. Des lettres patentes du roi des Deux Siciles lui permirent à partir de 1748 de porter le nom de son ancêtre italien conjointement à celui de L’Hôpital. Ainsi s’explique sa préoccupation de faire figurer, non pas sa croix de l’ordre de Saint-Louis, mais le principal meuble de ses armoiries sur son buste en marbre, élément relativement rare sur les portraits sculptés. Quant au choix du sculpteur L’Estache, les relations qu’entretint par sa fonction le marquis de L’Hôpital avec Amelot de Chaillou, secrétaire d’État des Affaires étrangères, et avec le duc de Saint-Aignan, ambassadeur de France à Rome, ne furent peut-être pas sans importance lors de la commande du buste : L’Estache était en contact avec ces deux hommes politiques qui lui accordèrent leur protection. En outre, la réalisation du portrait requérait un artiste relativement disponible puisque le modèle n’était que de passage à Rome. L’ambassadeur paraît enfin s’être montré bienveillant envers les artistes français actifs en Italie : il n’hésita pas à recommander au directeur des Bâtiments Pierre-Jacques Gautier, graveur français à Naples, auteur de planches d’après Solimena, désireux d’être accepté pensionnaire à l’Académie, et s’intéressa au sculpteur Jean-Baptiste Boudard, qui, à son départ de Rome, passa à Naples « pour quelques ouvrages qu’il doit faire pour le marquis de L’Hôpital » (C.D., IX, p. 455 et X, p. 12-14).

Le portrait de Paul-François Galluccio de L’Hôpital gravé par Teucher d’après un tableau aujourd’hui perdu de Louis Tocqué permet enfin de confirmer avec certitude l’identité de l’Homme en armure du musée Jacquemart-André (pour le portrait de Tocqué réalisé à Saint-Petersbourg vers 1757, voir Doria, 1929, n° 175, p. 118 et 1953, p. 9). La ressemblance entre le visage sculpté et celui saisi une quinzaine d’années plus tard par le célèbre peintre portraitiste alors que le marquis était ambassadeur de France en Russie ne peut laisser de place au doute : L’Estache s’appliqua avec son ciseau à reproduire fidèlement dans le marbre les traits de son modèle.

Malgré l'embonpoint des chairs, notamment au niveau du cou large et gras et des joues pleines, le grand front osseux, les yeux étirés en amande, la bouche petite aux lèvres fines et serrées et le menton rond proéminent confèrent à cet homme d'armes un air sérieux et réfléchi. L’allure fière et solennelle de l’ambassadeur résulte de l’effet assez réussi que créent la lourde armure dont les épaulières sont formées de larges plaques de métal fixées par de gros clous, ainsi que l’épaisse cape qui couvre toute l'épaule droite, barre la poitrine en diagonale et s'enroule avec ampleur autour du torse et du bras gauche. Cependant, si la lecture de l’œuvre est gênée par la conservation peu satisfaisante du visage (nez cassé et refait, relief de l’œil gauche usé, marbre tâché), ce buste reste un portrait dénué de force d’expression et ne laissant transparaître aucun trait particulier de caractère de son modèle. Le travail du drapé de la cape manque en outre d’élégance, formant de grosses boursouflures ou se creusant de façon trop systématique par de longs plis en cuvettes. En revanche, les jeux contrastés de surfaces du marbre qui rendent aussi bien l'aspect lisse des chairs adipeuses, la souplesse des longs cheveux qui ondulent sur l'épaule gauche, la lourdeur et le brillant de l'armure métallique, ou le moelleux du tissu épais de l'étole résultent d’une maîtrise technique qui ne fit jamais défaut à l'artiste. Longtemps resté une énigme, le coq ciselé sur le torse entre les deux épaulières, représenté de profil à droite, la patte gauche levée, est d’une finesse d’exécution et d’un réalisme qui caractérisent les objets liturgiques des Trophées religieux du chœur de Saint-Louis-des-Français ou encore le lion des Armes de l’abbé de Canillac qui surmontent la porte d’entrée de l’église.

Quels modèles purent retenir l’attention du sculpteur lors de l’élaboration du portrait en armure de l’ambassadeur de Naples ? Des œuvres de l’Algarde peuvent être évoquées. Le buste du musée Jacquemart-André paraît reprendre par exemple la position du drapé sur l’épaule droite et barrant en diagonale la poitrine du Buste de Lelio Frangipane à San Marcello al Corso. Les hommes d’armes portraiturés par l’Algarde sont certes représentés sans perruque ; néanmoins la queue de cheval du Marquis de L’Hôpital n’est pas sans rappeler la longue mèche de cheveux du Buste d’Urbano Mellini qui tombe en s’enroulant sur l’épaule gauche. Le marbre réalisé par L’Estache peut également être rapproché d’une œuvre contemporaine, le Buste de chevalier de l’ordre du Saint-Esprit conservé au Fogg Art Museum de Cambridge, très vraisemblablement réalisé à Rome par René-Michel dit Michel-Ange Slodtz. Pierre de L’Estache, élève à Paris de Sébastien Slodtz pendant cinq ans, assez proche de la famille pour être témoin à l’enterrement d’une petite sœur de René-Michel, jouissait toujours de son logement à l’Académie lorsque ce dernier y arriva comme pensionnaire en 1728 ; les deux artistes cohabitèrent ainsi pendant plus de quatre ans au palais Mancini. S’il est impossible d’affirmer que L’Estache put voir, avant la réalisation de son Buste du marquis de L’Hôpital, le Buste de chevalier de l’ordre du Saint-Esprit dont la datation reste imprécise, le sculpteur entretint sans aucun doute à Rome quelque relation avec le fils de son maître et connaissait très certainement les œuvres que Michel-Ange réalisa à Rome où il prolongea son séjour hors de l’Académie jusqu’en 1746.