Studiolo
1-2002, Anne-Lise DESMAS, Pierre de L'Estache (1688 ca. - 1774)
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Saints
1724
petits modèles de statues destinées à l'escalier de la Trinité-des-Monts à Rome
terre
perdus
La correspondance échangée entre l’abbé de Tencin et le comte de Morville, et entre Poerson et le duc d’Antin, ainsi que l'estampe gravée par Girolamo De Rossi en 1726 représentant le projet définitif de Francesco De Sanctis pour la Scalinata de la Trinité-des-Monts, témoignent du décor de statues qui avait été prévu pour l’escalier mais qui ne fut jamais réalisé.
L'abbé Pierre Guérin de Tencin, nommé conclaviste en mars 1721, demeura à Rome après l'élection au trône pontifical d'Innocent XIII et fut chargé des affaires étrangères de France auprès du Saint Siège de novembre 1721 à octobre 1724. Très apprécié du pape, il réussit là où tous, y compris le cardinal Mazarin, avait échoué : construire un escalier qui conduisît de la place d'Espagne au couvent de la Trinité-des-Monts. Aucun diplomate français n'avait en effet pu au cours du XVIIe siècle obtenir les faveurs du Saint Siège afin d'exaucer les vœux d'Étienne Gueffier qui avait laissé par testament en 1655 de quoi permettre de financer les travaux (Alloisi, 1996, p. 43-94 ; Laurain-Portemer, 1968, p. 273-294).
Au mois d’octobre 1723, l'abbé de Tencin était en mesure d’adresser à Louis XV les divers modèles qui avaient été présentés au pape : le roi, dès le 9 novembre 1723, fit savoir qu’il s’accordait sur le projet qui avait été choisi par Innocent XIII (C.D., VI, p. 300-301, 305, 314). Le 25 novembre suivant, la première pierre était posée et Poerson écrivait à d'Antin début décembre que les travaux avançaient bon train. Le dessin qui avait été choisi était un de ceux proposés par l'architecte Francesco de Sanctis et présentait l'escalier tel qu'il est aujourd'hui.
L'abbé de Tencin se préoccupa du décor des statues, qui devaient prendre place sur les balustrades et sur les murets délimitant les terrasses, dès janvier 1724 et s'adressa, pour sa réalisation, au directeur de l'Académie de France. Poerson rapporta ainsi les faits au duc d'Antin : « Le premier jour de l’an estant allé saluer M. l’abbé de Tansin, j'y conduisit le s.r de l'Estache et les six élèves de l’Académie […]. Il me dit que, désirant faire l'escalier de la Trinité-du-Mont le plus beau qu’il pourroit, il y avoit destiné des figures de pierres travertines; qu'il décidera, sur ce que je luy avois dit des talens des s.rs l'Estache, Bouchardon et Adam, de leur en faire faire quelqu'une, sous le bon plaisir de Votre Grandeur, d'autant plus que cela peut servir à leurs avancemens et à l'honneur de la nation qui fait faire cette dépense […] » (C.D., VI, p. 322). L'appréhension du surintendant, qui manifesta peu d'enthousiasme dans sa réponse et jugea les élèves « pas encore assez habiles » (C.D., VI, p. 328) était compréhensible : Bouchardon et Adam n'étaient arrivés que depuis quelques mois. Jeunes et avec peu d'expérience étaient-ils capables de réaliser de grandes statues de travertin ? En outre, la formation artistique que les élèves devaient recevoir à Rome était essentiellement basée sur l'étude de l'Antique. Certes, en réalisant des statues de travertin pour l'Escalier de la Trinité-des-Monts, les sculpteurs travaillaient directement pour le service du roi, mais il s'agissait de statues religieuses modernes. Poerson n'hésita pas à insister auprès du surintendant : « J'ay l'honneur de recevoir, de la part de Votre Grandeur, une lettre du 29 janvier, dans laquelle elle me fait celuy de me dire qu'elle apréhende que les élèves que M. l'abbé de Tancin a demandés pour faire des figures à l'escalier de la Trinité-du-Mont ne répondent pas pleinement à son envie, et Votre Grandeur ne les croit pas encore assez habiles pour faire honneur à son Académie. J'ay esté sur-le-champs voir M. l'abbé de Tancin. Nous avons raisonné ensemble de ces ouvrages, et, quoyque notre nation ait beaucoup de jaloux, connoissant le talent des élèves et la foiblesse des sculpteurs italiens, nous espérons que nos jeunes François se feront honneur s'ils exécutent cet ouvrage » (C.D., VI, p. 334-336). Le duc d'Antin finit par se laisser convaincre : « Je suis charmé que vous trouviez nos élèves assez forts pour se charger des ouvrages de l'escalier de la Trinité; cela est fort honorable pour eux, au peu de temps qu'ils sont dans votre Académie. Éclairez-les de près pour soutenir l'honneur de la nation » (C.D., VI, p. 341).
L'abbé de Tencin devait fixer tout d'abord le programme iconographique du décor. Cette tâche demandait quelque habileté diplomatique dont l'ambassadeur sut faire preuve : « Avant que de faire mettre la main aux statues […], j'ay crû que je devois faire à l'égard des cardinaux chefs d'Ordre ce que j'aurois fait à l'égard du Pape, s'il vivoit encore [Innocent XIII venait de décéder], qui auroit été de luy rendre compte du progrès de l'édifice, afin de prévenir tout embarras. C'est pourquoi je proposais à M. Le Cardinal de Rohan de dire aux chefs d'Ordre historiquement, quelles étoient les statues qui devoient être placées sur l'escalier » (C.D., VII, p. 7-8). Le choix des figures, qui fut approuvé le 22 mai 1724 « sans aucune difficulté », se porta sur les papes Félix, Adrien et Martin, sur les rois et reines Clovis, Clotilde, Charlemagne et Louis et sur les saints Denis, Hilaire, Remi, Geneviève et François de Paule. Le discours iconologique tenu par le décor sculpté des différents projets de construction de l'escalier depuis le XVIIe siècle avait été le principal objet de discorde entre le Saint Siège et Versailles. Les négociations entre Mazarin et Alexandre VII, qui se soldèrent par un échec en offrent un exemple flagrant : le cardinal avait eu l'ambition de voir s'ériger une statue équestre de Louis XIV sur la terrasse centrale de l'escalier, projet dont la portée politique était inacceptable non seulement par le pape mais également par les autres puissances européennes. En revanche, les statues prévues en 1724 mettaient principalement à l'honneur le fondateur du couvent et les saints qui avaient voué un culte particulier à la Sainte Trinité ou participé à l'Évangélisation de la Gaule. Le cardinal de Rohan et l'abbé de Tencin avaient toutefois réussi à imposer la présence de statues de saints rois et reines de France dont la valeur symbolique pouvait jouer un rôle plus politique que religieux dans ce quartier de Rome âprement revendiqué par les Espagnols et le premier visité par les pélerins qui arrivaient par la porte du Peuple.
Pierre de L'Estache, Edme Bouchardon et Lambert-Sigisbert Adam purent commencer leurs modèles fin mai 1724, une fois fixé le choix des douze saints à représenter. Un mois plus tard, d'après une lettre de Vleughels du 27 juin suivant, les sculpteurs avaient déjà achevé les modèles et étaient prêts à commencer à tailler les statues dans le travertin : « [les sculpteurs] vont se mettre après des figures de pierre pour l'escalier de la Trinité de Mont [...]. J'en ay desjà veu des modèles qui viendront bien, du moins en apparence » (C.D., VII, p. 29). Début juillet, Guérin de Tencin « vint […] à l'Académie voir les models des figures destinées pour l'escalier de la Trinité-du-Mont faits par les s.rs de l'Estache, Bouchardon, et Adam, les ayant trouvé bien comme ils sont en effet » (C.D., VII, p. 35). Mais, nommé archévêque d'Ambrun, le prélat dut toutefois repartir en France en octobre. Le directeur avertissait le surintendant début novembre : « Je suis […] dans l'attente du retour de Mgr le Cardinal de Polignac [nommé ambassadeur de France à Rome], à l'égard des sculpteurs, pour l'escalier de la Trinité-des-Monts, pour lesquels ils ont de beaux models; mais l'on doute que Mgr le Cardinal de Polignac suive les projets de Mgr l'archevêque d'Ambrun » (C.D., VII, p. 85).
On ignore combien de modèles furent préparés par les trois artistes et quels saints ils représentaient. Il est de toute façon à exclure que la réalisation du décor devait entièrement incomber aux sculpteurs français. Si Pierre de L'Estache, établi à Rome, avait la possibilité de répondre à la commande de divers Saints, les pensionnaires Adam et Bouchardon ne pouvaient s'engager à l'exécution très longue de plusieurs statues colossales de travertin. Il est donc probable que des sculpteurs italiens auraient été contactés pour participer à cet important décor de douze grandes figures si le projet n'avait pas été abandonné après le départ de Rome du cardinal de Tencin, au mois d'octobre 1724 (C.D., VII, p. 85, 232).
Que devinrent les statuettes modelées par Adam, Bouchardon et L'Estache ? Elles n'apparaissent ni dans la liste de 1727 des œuvres d'art ornant l'Académie (C.D., VII, p. 333-337), ni dans la collection du cardinal de Polignac qui possédait plusieurs œuvres des deux pensionnaires Adam et Bouchardon (Guiffrey, 1899, p. 285-297).
Seuls les piedestaux que forment à certains endroits les murets de travertin sur l'escalier rappellent in situ que des statues devaient orner la très célèbre Scalinata de la place d'Espagne.
Salerno, 1967, p. 105.
Enggass, 1976, I, p. 213.
Alloisi, 1996, p. 88-89.
sources :
1724 :
4 janvier, lettre de Poerson à d'Antin (C.D., VI, p. 322).
29 janvier, lettre de d'Antin à Poerson (C.D., VI, p. 328)
22 février, lettre de Poerson à d'Antin (C.D., VI, p. 334-335).
11 mars, lettre de d'Antin à Poerson (C.D., VI, p. 341).
4 avril, lettre de Poerson à d'Antin (C.D., VII, p. 356).
23 mai, lettre du cardinal de Rohan au comte de Morville (C.D., VII, p. 7).
23 mai, lettre de l'abbé de Tencin au comte de Morville (C.D., VII, p. 8).
10 juin, lettre du comte de Morville à l'abbé de Tencin (C.D., VII, p. 15-16).
27 juin, lettre de Vleughels à d'Antin (C.D., VII, p. 29).
11 juillet, lettre de Poerson à d'Antin (C.D., VII, p. 35).
7 novembre, lettre de Poerson à d'Antin (C.D., VII, p. 85).
25 novembre, lettre de d'Antin à Poerson (C.D., VII, p. 98).
1725 :
29 novembre, lettre de Vleughels à d'Antin (C.D., VII, p. 232).